Lugnasad: la fête de l'automne celte
Nous sommes entrés dans la saison claire depuis Beltaine, la fête du 1er mai. Nous abordons maintenant la deuxième phase de cette saison claire, l’automne en quelque sorte, avant le retour de la saison sombre à Samain (1er octobre).
Fête centrale en l’honneur du roi, Lugnasad (ou Lughnasadh) était célébrée le 1er août, « le jour de la maturité de tous les fruits » ainsi que le mentionne le manuscrit irlandais Egerton Ms 1782, qui date du début du XVIe siècle. Car, rappelons-le ici une dernière fois, la plupart des sources sur les fêtes celtes et sur les Celtes tout court d’ailleurs, nous viennent d’Irlande et des transcriptions des légendes celtiques – souvent remaniées – par les religieux chrétiens du Moyen Âge et les suivants.
Tailtiu, Carman, Macha et les autres: les femmes légendaires de Lugnasad
L’histoire de la création de Lugnasad nous est contée dans les récits mythiques irlandais, et l’on découvre, sans grande surprise, que la fête est liée au dieu Lug.
Lugnasad signifie littéralement « L’assemblée de Lug ». Lug – ou Lugh – est un dieu puissant et particulièrement important de la mythologie irlandaise. Il porte de différents noms et possède de nombreuses caractéristiques mais il est surtout connu pour son aspect solaire, lumineux, brillant. Toutefois, même si c’est de son nom dont est né celui de la fête de l’automne, ce n’est pourtant pas en son honneur qu’elle a eu lieu la première fois: il en a été l’instigateur.
Le sacrifice de Tailtiu et l'hommage de Lug: la naissance de Lughnasadh
La légende à l’origine de Lugnasad raconte l’histoire de Tailtiu, la nourrice du dieu Lug, dont la généalogie remonte à la seconde race mythique qui a occupé l’Irlande. Selon la légende la plus connue, Tailtiu aurait défriché à elle-seule la forêt de Coill Chuan, la transformant ainsi en plaine – la plaine de Breg, à l’Est de l’Irlande – la rendant ainsi cultivable. On raconte que c’est ici que poussa en premier lieu le fameux trèfle irlandais. Épuisée par l’effort, Tailtiu serait morte » aux calendes d’août », assurant, par son sacrifice, la pérennité et le bien-être matériel de son peuple en lui offrant une large plaine à cultiver. La légende raconte également qu’elle aurait demandée a être enterrée dans cette plaine. Lug fit selon ses dernières volontés et institua une assemblée commémorative incluant des jeux funéraires en son honneur, qui commençaient 14 nuits avant le 1er août et qui finissaient 14 nuits après.
Evidemment, comme pour tout mythe, il existe différentes versions. Selon l’une d’elles, c’est le roi Éochu qui aurait procéder au défrichement, sur la demande de Tailtiu, son épouse. Une seconde variante raconte que Tailtiu était prisonnière et qu’elle aurait été forcée de défricher le terrain, une tâche qui lui aurait coûté la vie là aussi. Ce serait elle qui, sur son lit de mort, aurait demandé l’institution de jeux funéraires.
Toujours est-il que l’organiseur de ces jeux, centrés autour de la date du 1er août, est toujours le même: son fils adoptif, le dieu Lug.
Ainsi est née Lugnasad.
La destructrice Carman et ses fils
Oui mais voilà, Tailtiu n’est pas la seule femme légendaire irlandaise dont la mort est commémorée le 1er août.
Une autre légende raconte en effet l’histoire de la terrible Carman et de ses trois fils, Dia (Féroce), Dubh (Noir) et Dothur (Féroce). Tout un programme.
La petite famille de Carman aurait débarqué à l’Est de l’Irlande et attaqué les mythiques Tuatha Dé Danann qui peuplaient alors l’île. Carman et ses fils tentèrent de détruire toutes les récoltes. Celle-ci fut cependant capturée et mourut parmi « les chênes des tombeaux », le 1er août, alors que ses fils quittaient l’île. Elle fut enterrée dans ce lieu qui portera ensuite son nom, un lieu sacré parsemé de tombes guerrières qui, dit-on, entouraient la sienne.
Une autre légende de Lughnasadh: la déesse Macha et les chevaux du roi Cochonbar
Une dernière légende reprend le motif de la déesse célébrée un 1er août. L’histoire nous raconte que la déesse Macha était alors enceinte jusqu’aux dents et que son accouchement était prévu le jour de l’assemblée des Ulates (les habitants d’Ulster), assemblée qui tombait le 1er août. Crunmiac, l’époux inconscient de Macha, prétendit que sa femme était plus rapide que les chevaux du roi Cochonbar. Le roi demanda alors à la déesse de lui montrer ses talents sur le champ. Elle s’exécuta et triompha des chevaux du roi, malgré sa grossesse, et accoucha de jumeaux à l’issue de la course.
La fin de l’histoire est assez savoureuse: après l’accouchement, elle poussa un cri de malédiction sur les Ulates, qui furent alors condamnés à souffrir périodiquement des douleurs de l’enfantement.
Une assemblée se tint désormais à l’endroit de la légende, un lieu renommé Emain Macha (« les jumeaux de Macha »).
Même si, contrairement à Tailtiu et Carman, Macha ne perd pas la vie, il n’en reste pas mois qu’à la suite de ces évènements légendaires sont nées des assemblées en son hommage, tenues le 1er août à peu près dans la même région d’Irlande.
Lugnasad, une fête royale
Les légendes de Tailtiu et Carman ont donné naissance à des assemblées tenues le 1er août en leur hommage qui ont chacune des points communs l’une avec l’autre.
Les assemblées de Lughnasadh
L'assemblée de Tailtiu
L’assemblée de Tailtiu est l’assemblée la plus importante de Lugnasad.
Tenue tous les ans – le 1er août donc – elle était connue pour son faste: on parle d’or, d’argent, de jeux, de concours d’éloquence et de musique. Célébrée par le roi, Lughnasadh regroupait toutes les classes sociales: les druides et les filid pour la science et l’éloquence (les filid sont des sortes de bardes), les guerriers et les agriculteurs, garants de la subsistance de la société.
Lughnasah était une fête de prospérité et d’amitié pour laquelle on venait parfois de très loin.
La foire de Tailtiu était également un moment-clé pour contracter des alliances ou des mariages. On raconte que les hommes et les femmes à marier se plaçaient chacun de part et d’autre du mur d’enceinte pendant que les parents établissaient les contrats. Toutefois, ces mariages n’étaient sans doute pas tous définitifs. En effet, le mariage de Teltown (toponyme moderne de Tailtiu) a longtemps été connu comme un mariage temporaire: si, au bout d’un an et un jour, les époux n’étaient pas satisfaits, le mariage pouvait être défait. Cette coutume a tellement perduré que les chercheurs pensent qu’elle émane directement de l’assemblée celte de Tailtiu.
Peut-être l’aurez-vous remarqué mais, contrairement à Samhain par exemple, il n’y a aucune assemblée légale: la justice et la guerre sont suspendues car, rappelons-le, nous sommes tout de même dans un contexte funéraire.
L’assemblée de Tailtiu était une fête divine, perpétuelle et… obligatoire.
Lugnasad était célébrée par le roi – c’est une fête royale, rappelons-le – lors de laquelle il agissait comme successeur de Lug pour garantir la paix, l’abondance et protéger le peuple des calamités.
Lugnasad était toutefois bardée d’interdits et de prescriptions morales qui conditionnaient l’octroi de cette abondance, comme, par exemple, l’obligation de tenir l’assemblée tous les ans sous peine de calamités.
Il était interdit de faire usage d’une lance (la présence du roi étant incompatible avec une activité guerrière), interdit de ne pas descendre de cheval, interdit de regarder par dessus son épaule gauche (cela peut surprendre mais c’était une façon de jeter un sort). Il était également interdit de quitter la fête pour manger (ce qui laisse penser que la nourriture n’était pas le centre des célébrations) ou encore de nuire aux bêtes d’autrui. Cette dernière interdiction peut paraître étrange également mais rappelons que, chez les Celtes, la rafle de bétail était l’action guerrière la plus courante.
Si on a autant de détails sur l’assemblée de Tailtiu à Lugnasad, c’est grâce, encore une fois, à des textes médiévaux, un poème en particulier, écrit alors que le roi d’Irlande souhaite faire revivre cette ancienne coutume. Toujours est-il que l’assemblée de Tailtiu est une assemblée très ancienne (les dates divergent mais restent fort lointaines). La dernière assemblée royale date de 1168. Elles s’est tenue sous l’égide du dernier roi d’Irlande, Ruadhri, avant l’invasion des Normands l’année suivante.
C’est le monde de la paysannerie, encore une fois, qui a fait perdurer la célébration de Lugnasad à Teltown malgré le lien direct de la fête avec la royauté. C’est ainsi que Lughnasad s’est transformée petit à petit en une sorte de fête agraire. Mais nous y reviendront dans l’article suivant sur Garland sunday.
En tous cas, Lugnasad a un lien très particulier avec l’identité Irlandaise. En effet, la Gaelic Athletic Association a tenté, dès le XIXe siècle, de relancer des Tailteann games – en référence à l’assemblée de Tailtiu. Ces jeux se tinrent finalement pour la première fois en 1924, après la guerre civile. Ils ont été organisés jusqu’en 1930 mais, depuis, de nombreux évènements sportifs irlandais se sont revendiqués de ces Tailteann Games et donc de l’assemblée de Tailtiu.
L'assemblée de Carman
L’assemblée de Carman, car il y en a une, partage beaucoup de points communs avec celle de Tailtiu. Obligatoire, elle se tenait toutefois tous les trois ans. Elle ne devait être interrompue sous aucun prétexte et se déroulait sans action violente. De même que pour l’assemblée de Tailtiu, la justice n’y était pas rendue. Présidée par le roi également (pour rappel, s’il y avait un seul Haut-Roi en Irlande, il y avait en revanche des rois locaux), l’assemblée de Carman promouvait aussi l’amitié, la paix et l’abondance matérielle. On y organisait également des jeux funèbres, des jeux de femmes et des jeux par clans et cantons qui se tenaient sur une semaine. C’était également l’occasion de démontrer ses talents avec des concours de musique ou d’éloquence et d’écouter les récits traditionnels racontés par les filid.
Il était question de jeûne (ici aussi la ripaille ne semble pas être à l’honneur) mais c’était également un moment économique d’ampleur avec trois marchés connexes, dont un ouvert aux étrangers.
Comme un certain nombre d’autres célébrations celtes, elle était obligatoire, à la différence que les absents ne risquaient pas la mort comme à Samain, mais seulement d’être frappés d’orgueil et de vieillissement prématuré!
La fête du roi
En résumé la fête celte de Lugnasad était un moment de trêve militaire et un rendez-vous politique et économique grâce aux foires et aux alliances, qu’elles soient économiques ou matrimoniales. Cette fête obligatoire était également un moment de divertissement avec des jeux, des courses (de chevaux, d’hommes et de femmes), de la musique et de la poésie. C’était un évènement important pour toutes les classes sociales, un moment dénué de cérémonie religieuse, ce qui expliquerait sa survivance exceptionnelle (le christianisme ne s’est pas acharné sur une célébration dont les fondements religieux ne semblaient pas acquis).
Toutefois, tout cela aurait tendance a nous faire oublier que c’est avant tout une fête royale. Oui, c’est vrai, cela ne saute pas au yeux et pourtant, c’est l’essence-même de Lughnasadh: le roi état le centre de la fête. Tailtiu (ou Teltown) était le lieu symbolique de la consécration du Haut-Roi d’Irlande (celui qui régnait sur tous les autres). D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si l’événement, du point de vue mythologique, tourne autour d’une femme: la souveraineté celte se transmettait par les femmes.
Il est nécessaire de rappeler que la royauté celte était très différente de la façon dont on envisage la royauté aujourd’hui. Elle était tout d’abord très liée aux mythes. Dans la mythologie celte, les « grands » dieux se mêlent aux dieux détenteurs de royauté terrestre dont les épouses sont souvent à la fois reine et personnifications de l’Irlande. L’exemple de Macha est d’ailleurs intéressant puisqu’elle-même a épousé Crunmiac, simple paysan d’Ulster.
D’ailleurs, le dieu Lug fait justement partie de ces dieux-rois (dans la mythologie, le roi Nuada lui laisse son trône). Lors de Lugnasad, le roi agit donc comme successeur le Lug, il est celui qui assure la subsistance de la souveraineté à Tailiu, lieu de la consécration du Haut-Roi. Entre la fête sacerdotale de mai (Beltaine) et la fête militaire du 1er novembre (Samhain), Lugnasad honore l’aspect royal de Lug par l’entremise du roi terrestre, ce qui explique qu’il n’y ait pas de cérémonie sacrificielle.
Il faut enfin rappeler que la royauté celtique était très exigeante et surtout très fragile: extrait de la classe militaire par les prêtres sans jamais en devenir un lui-même, le roi avait une lourde tâche administrative et devait se montrer exemplaire.
L’archétype du mauvais roi est celui qui ne célèbre pas Lugnasad, c’est pourquoi il est bien spécifié que des malheurs arriveront si le rite n’est pas répété tous les ans. Le mauvais roi est celui qui accable ses sujets d’impôts et les réduit à la misère: c’est celui qui ne donne pas. Car c’est là la fonction essentielle du roi celte: le don. Et ce don est indispensable pendant Lughnasad parce que c’est indirectement à travers lui que va se manifester la fertilité, cette même fertilité qu’a permise Tailiu en défrichant la forêt et en offrant des plaines cultivables à ses sujets.
Lugnasad en France
C’est bien joli tout ça, mais, dans nos contrées, est-ce qu’on fêtait Lugnasad?
On a effectivement des traces d’assemblées de ce type en Gaule, traces plus ténues qu’en Irlande cependant.
Sachant que les Gaulois, comme tous les Celtes d’ailleurs, avaient un goût très prononcé pour les assemblées publiques, les réunions politiques et les longues discussions, il aurait été étonnant qu’ils ne célèbrent pas une fête comme Lughnasadh. Alors autant vous dire que quand le mot « assemblée » apparaît dans des inscriptions dans un contexte celte (contexte où la transmission orale est la plus importante), il n’y a pas de doute sur le fait que cette assemblée ait été capitale.
C’est exactement ce qui se passe à Lyon, où l’on a retrouvé plusieurs mentions d’un Concilium Galliarum, aussi appelé Conseil des trois Gaules. Ces trois Gaules étaient l’Aquitaine, la Lyonnaise et la Belgique, trois provinces impériales qui, administrativement parlant, n’avaient déjà plus rien de celte en ces temps d’occupation romaine. Une fête avait donc lieu le 1er août dans une ville placée sous la protection du dieu Lug (eh oui, Lyon à cette époque, s’appelait Lugdunum). Il semblerait bien qu’on soit en présence de la célébration gauloise de Lughnasadh! Ce n’est d’ailleurs sans doute pas pour rien que Lyon est restée par la suite la métropole religieuse de la Gaule christianisée.
Et les romains ne s’y sont pas trompés. Ils ont fait en Gaule ce que les chrétiens ont fait en Irlande: assimiler la religion indigène pour mieux la remplacer. Le fait est que notre Conseil des Trois Gaules du 1er août a été romanisé et choisi par Auguste devenir une manifestation essentielle du culte impérial. Cette absorption de la probable Lugnasad gauloise a d’ailleurs constitué un pas décisif de la romanisation. Plutôt bien joué de la part des Romains.
Globalement, il existe de nombreux lieux en France dont le nom celte est dérivé du dieu Lug (comme Laon ou Loudun) donc il y a peu de doute sur l’existence de Lugnasad dans nos contrées.
Une fête pré-celtique? Lugnasad ou la mort de la déesse mère
Une fête pastorale
Si vous avez lu mes articles sur les trois autres fêtes celtes (Samain, Imbolc et Beltaine), vous savez qu’il existe de fortes suspicions sur le fait que ces célébrations soient en fait bien plus anciennes encore que la civilisation celte. Lughnasadh ne fait pas exception.
Comme je l’ai dit plus haut, c’est le monde de la paysannerie irlandaise qui a continué de célébrer Lugnasad en gardant de cette célébration son lien à la fertilité. On en a souvent conclu que Lugnasad avait toujours été une fête des moissons. On a vu que ce n’était pas le cas puisqu’on est aussi et et surtout en contexte funéraire d’autant que, en Irlande, le 1er août ne correspond absolument pas aux dates des moissons (je détaillerai tout cela dans l’article suivant). Par contre c’est le moment où l’on récolte les fruits et les baies sauvages comme les myrtilles ou les airelles. Or, ce sont des fruits indigènes (c’est-à-dire qu’ils ont toujours poussé en Irlande). Et les archéologues ont bien mis en avant l’importance de ces baies dans l’alimentation des hommes et des femmes du Néolithique (période qui précède la civilisation celte). Cette coutume de ramassage des baies apparait donc comme étant fort ancienne.
Rappelons qu’au Néolithique, les populations pratiquaient l’élevage, ressource première des paysans, particulièrement en Irlande.
Dans la vie semi-nomade des pasteurs, les animaux montaient aux pâtures à partir du 1er mai (Beltaine) et en redescendaient pour le 31 octobre (Samhain). Le 1er août correspond donc très exactement à la moitié du temps de pâture.
Tout nous pousse donc à voir un lien entre la date du 1er août et les bergers du néolithique. Lugnasad serait alors une fête pastorale de retrouvailles à la moitié du temps de pâtures.
S’il manquait encore des preuves, il suffit de regarder les traditions irlandaises plus récentes. En effet les Irlandais ont, pendant de siècles, continuer à fêter la fête du 1er août dans la montagne (alors que la raison-même en était perdue) dans des lieux où se trouvaient toujours des mégalithes et autres souvenirs de monuments funéraires ancestraux, ce qui nous ramènent invariablement vers la version celte et préceltique de notre fête du 1er août.
Saints, dragons et sorcières: les légendes irlandaises pour comprendre la fête celte de Lugnasadh
Nous allons faire ici un petit aparté car il y a une chose très importante qu’il ne faut pas oublier: les rites n’ont jamais cessé de changer au cours des siècles. Les rites pastoraux préceltiques ont été assimilés par les Celtes qui les ont associés avec leurs propres croyances. Le christianisme a ensuite lui-même assimilé mais surtout combattu, rejeté ou transformé ces rites qui ont été adaptés par la population paysanne, population qui, elle-même, ne connaissait pas la totalité de la signification de ces rites. Les indices donnés par les différentes périodes s’entremêlent pour nous laisser imaginer ce qu’ont été ces célébrations avant même l’avènement de la civilisation celte.
C’est le cas des légendes pseudo-chrétiennes qui entourent la fête de Lugnasad telle qu’elle était encore célébrée il y a peu en Irlande et qui sera l’objet de l’article suivant.
Je dis « pseudo-chrétiennes » parce qu’elles ont évidemment toutes un fond païen sur lequel le christianisme s’est accroché pour se déployer.
La plupart de ces légendes évoquent, sans surprise, la victoire du christianisme sur le paganisme par l’entremise d’un saint, souvent saint Patrick, la plupart du temps en prise avec un païen (souvent nommé Crom Dubh soit « Courbe noire »). Parfois le paganisme prend les traits d’un taureau ou bien c’est la fille d’un païen que l’on retrouve dans la légende. Quoi qu’il en soit, le paganisme est toujours vaincu, le païen finit converti. Parfois saint Patrick ou un autre saint met fin aux agissements d’un magicien ou tue un dragon. Le saint est parfois aidé par un géant nommé Oisin.
Un certain nombre de légendes ne sont cependant que partiellement christianisées, voire pas du tout. On trouve beaucoup d’histoires de fairies en lien avec les récoltes, des histoires de trous-avaleurs où ont disparu des gens, des légendes de triades de sœurs sorcières, de vieilles femmes maléfiques, d’enlèvement de jeune fille ou de mort d’un être jeune.
En quoi ces légendes plus ou moins anciennes nous aident-elles à comprendre la fête originelle de Lugnasad? J’y viens…
Tailtiu ou la Grande Déesse néolithique
Une chercheuse a récolté ces légendes de la bouche de celles et ceux qui s’en souvenaient encore dans les années 1970. Elle les a étudiées et a montré que, christianisées ou non, ces légendes présentaient toujours le même schéma : un héro, une femme mythique, un géant, un animal fabuleux ou autre et une action qui se passe dans un site montagneux, près de vestiges préhistoriques ou de cairns funéraires. Il est toujours question d’un drame, d’un combat, d’une disparition, l’enlèvement d’une femme ou sa mort.
La chercheuse en question, Valérie Guibert de la Vaissière, a démontré que, dans ce schéma répétitif, les personnages ont comme glissé d’un rôle à un autre: le héros païen des légendes non christianisées est devenu l’ennemi à abattre après la christianisation.
Rappelons ici qu’il s’agit de légendes liées à la fête du 1er août. Alors qu’en est-il de Tailtiu, Carman ou Macha? Il semble que la figure féminine se soit dédoublée. Je vous épargnerai toute la démonstration – certes intéressante mais fort longue – pour seulement vous en donner la conclusion: les femmes n’apparaissent en tant que telles que dans les légendes non christianisées. Les légendes chrétiennes irlandaises autour du 1er août ont scindé la figure féminine qui devient d’une part fort bénéfique sous les traits d’une sainte ou fort maléfique sous les traits d’une sorcière, d’une vieille femme ou même du dragon.
Ce qui a été mis en avant par cette chercheuse, c’est que les légendes christianisées montrent non seulement la victoire de saint Patrick sur le paganisme mais également la victoire de la société patriarcale sur une société qui l’était déjà beaucoup moins. Or, on sait que ce glissement s’était déjà amorcé avec la civilisation celte. D’ailleurs, c’est Lug qui domine la fête de Lugnasad et non pas Tailtiu, à qui elle est pourtant dédiée. On peut alors comprendre que, dans la légende celte, s’est opéré le même glissement et que Tailtiu, comme le montre son statut hiérarchique et sa symbolique maternelle, est bien plus ancienne que Lug et elle-même une réminiscence d’une divinité féminine bien plus ancienne. Au passage rappelons également que le héros masculin dans un grand nombre des légendes liées au 1er août livre un combat contre un taureau, lui-même une symbole archaïque.
Sachant que nous sommes sur une fête probablement pastorale, célébrée par une population néolithique dont on sait qu’elle adorait des figures féminines (souvent associées à… un taureau!), tout cela fait sens.
On retrouve ici, une fois encore, un mythe lunaire et féminin qui a été solarisé par l’intermédiaire du dieu Lug. Il est important de noter toutefois que Lug lui-même à des liens avec la lune. Lug correspond effectivement au dieu Bel, dieu des celtes, des germains et des populations préceltiques. Et si vous avez lu mon article sur Beltaine, vous savez que Bel tient plus du côté féminin que du côté masculin.
Voilà comment on part d’une fête celte funéraire pour en arriver au symbole de la victoire d’une civilisation sur une autre.
Toujours est-il que Lugnasad, la fête du 1er août, est sans doute le souvenir d’une rupture d’un monde, du passage de la société pastorale à tendance matriarcale à celle sédentaire et patriarcale des cultivateurs pré-celtes puis Celtes, jusqu’aux chrétiens qui ont tous, d’une manière ou d’une autre, assimilé des rites qui leurs étaient antérieurs.
Finalement, les funérailles de Tailtiu sont peut-être bien celles de cette déité féminine lunaire néolithique. Le lien à la lune et son cycle est d’autant plus intéressant que, dans le cycle de la nature – la fécondation, la germination et la naissance – le mois d’août représente la naissance des bêtes pour les éleveurs préceltiques et la récolte pour les Celtes: le processus naturel est donc terminé, les forces de la déesse liée à la lune sont épuisées.
Un dernier mot pour finir: je vois fleurir partout sur internet des articles indiquant que la notion de déesse-mère ou de grande déesse a été complètement abandonnée par les chercheurs et que ce sont là des théories reprises uniquement dans les milieux ésotériques et féministes. Le présent article est fondée sur les recherches des deux plus grands chercheur.ses français.es sur le monde celte et sur la thèse d’une chercheuse adoubée par les précédents (voir les sources en bas de l’article). Alors si les termes de Déesse Mère ou Grande déesse peuvent de nos jours apparaître abusif (bien qu’on ne saura jamais comme les peuples néolithiques nommaient leurs déités), l’idée qu’ils véhiculent est belle et bien prouvée par la recherche.
Et si vous voulez savoir comme l’Irlande moderne célèbre Lughnasadh, rendez-vous dans le prochain article!
Hisae
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Sources
- Françoise Le Roux, Christian-J. Guyonvarc’h, Les fêtes celtiques, Yoran, 2017.
- Véronique Guibert de la Vaissière, Les quatre fêtes d’ouverture de l’Irlande ancienne, Editions Armeline, 2013.
- Jean-Paul Persigout, Dictionnaire de la mythologie celtique, Imago, 2009.
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