La fête païenne d'Imbolc : le printemps celte
La fête celte d’Imbolc est aussi peu connue et documentée que celle de Samhain (Halloween) est célèbre et étudiée par les chercheurs.
Placée le 1er février sur le calendrier celtique, elle est en effet bien mystérieuse: on en sait fort peu à son sujet. La plupart des indices que nous en avons nous viennent de sa version chrétienne irlandaise, la fête de sainte Brigid, dont on devine les fondations anciennes sous le vernis christianisé.
Voici donc ce que l’on sait de cette fête du printemps celte.
L'eau, le feu et la mort: Imbolc, fête de la purification
Imbolc: fête paënne disparue... ou presque
Dire que la fête celte d’Imbolc est peu documentée est un euphémisme: c’est la seule des quatre fêtes celtiques pour laquelle il n’existe aucune trace de rituel préchrétien. Et pour cause, elle avait déjà presque disparu au moment où les moines irlandais retranscrivaient les légendes celtes.
Mais pourquoi?
Dans le calendrier celte, les saisons changent en mai et en novembre. Rappelez-vous, le 31 octobre, c’est Samhain, le début de la période sombre, la nouvelle année et la fête celte la plus importante. Le placement d’Imbolc en pleine saison sombre, après la plus grande célébration religieuse et le manque de documentation ont donc laissé penser aux chercheurs qu’elle était tout simplement la moins importante des quatre fêtes celtes. Les indices laissent imaginer une fête archaïque, réduite à l’accomplissement d’une brève cérémonie religieuse.
Mais alors, Imbolc, c’est quoi?
La purification par l'eau
Des chercheurs ont évoqué un lien entre la fête d’Imbolc et le festin de Tara dont il est parfois question dans les légendes irlandaises. Tara était la « capitale » royale de l’Irlande celte. Ce festin, qui avait vraisemblablement lieu tous les trois ans, se déroulait après des sacrifices rendus aux dieux. Cet évènement aurait été l’occasion d’une assemblée royale où un certain nombre de lois et de coutumes étaient décidées.
Toutefois, loin de ces considérations administratives, Imbolc, de par son étymologie-même, renvoie à un concept bien plus religieux: la purification, ce « nettoyage » indispensable pour le retour du printemps.
C’est d’autant plus plausible qu’à cette même période de l’année (à quelques jours près), les Romains avaient leur propre fête de purification: les Lupercalia.
Coïncidence? Je ne crois pas.
L’eau est évidemment le premier élément lié à la purification Les pèlerinages aux sources qui se sont déroulés par la suite en Irlande (et se déroulent peut-être encore), laissent imaginer un rituel celte lié à l’eau, l’eau des sources, qui purifie, guérit et régénère.
Pour la petite histoire, sachez que l’eau bénite des églises chrétiennes est une réinterprétation de l’eau que les druides tiraient de leur puits et dans laquelle ils plongeaient un tison ardent avant de s’en servir pour leurs ablutions et donc leur purification.
Mais pourquoi utiliser un tison ardent? Mais parce que le feu purifie, lui aussi!
Le feu et la mort
Nous n’avons aucune trace d’une utilisation particulière du feu lors des cérémonies celtes d’Imbolc. Toutefois, connaissant la tradition de l’allumage des feux dans la religion celte (dont on a parlé dans l’article dédié à Samhain) et sachant que le feu était l’élément favori des druides qui sont aux commandes des grandes cérémonies religieuses, il y a fort à parier que le feu jouait un rôle important à Imbolc, comme dans les autres fêtes celtes.
Certains aspects de la fête irlandaise de sainte Brigid, comme les chandelles ou le bûcher de la Biddy (dont on parlera dans le prochain article), permettent d’imaginer l’importance du feu dans les célébrations du 1er février.
Il y a également un troisième élément purificateur très important : la mort. Oui, c’est un peu glauque, mais ça se tient! Le printemps arrive et la mort de ce qui ne doit plus être est importante pour laisser la place à ce qui doit advenir. C’était sans doute la raison d’être des sacrifices, actes expiatoires qui effacent toute impureté. Le sacrifice était purificateur et, par là, porte l’essence-même de la vie.
Car la finalité de tout ça, de toute cette purification, c’est de pouvoir accueillir de nouveau la vie.
Eh oui, le printemps arrive!
Et ce n’est pas la première fois que l’on parle d’un lien entre la mort et la vie. Vous ne vous souvenez pas? C’était lorsqu’on a évoqué le retour des morts à Halloween!
Même si, le 1er février, on ne change pas de saison au sens celte du terme, puisqu’il n’y en a que deux, Imbolc met en place l’environnement nécessaire à la période de fécondité qui s’annonce. Imbolc est l’archétype de l’ancienne conception magique et religieuse qui vise à réaliser la purification des êtres et de la terre pour s’assurer de leur fécondité.
C’est donc bien une fête du printemps!
Et quelle meilleure divinité tutélaire que la triple déesse Brigid pour présider à cette fête purificatrice de la mort et de la renaissance?
La déesse Brigid: la wonderwoman celte
Brigid: la triple déesse
Brigid (ou Brighid, Brigit, Bride, Brigindo ou encore Brigantia, c’est comme vous voulez), est une divinité incontournable du panthéon celte.
C’est la déesse d’Irlande par excellence, bien qu’elle soit également importante dans d’autres pays de culture celtique comme l’Ecosse ou le Pays de Galles.
Elle est triple, à la fois sœur, épouse et mère. On dit parfois qu’elle se manifeste sous trois formes: vierge, mère et vieille femme. Les légendes racontent également qu’il y avait en fait trois sœurs qui portaient toutes le même prénom: Brigit la file, c’est-à-dire la poétesse (une fonction très importante chez les celtes), Brigit la femme-médecin et Brigit qui forgeait le fer.
De fait, la déesse Brigit a trois fonctions: elle est en effet la protectrice des filid (les poètes), dont on dit qu’ils sont de sa descendance, elle est la patronne des médecins mais elle a aussi un aspect guerrier puisqu’elle participe à la fabrication des armes en sa qualité de protectrice des forgerons, ce qui lui a aussi valu le nom de déesse des arts.
Par ailleurs, son statut de mère lui confère des qualités d’accoucheuse. On la dit enfin vachère et ayant un grand pouvoir sur les animaux.
Cette divinité, déjà puissante par ces aspects, l’est en fait bien plus que ça si l’on prend en compte sa véritable place dans le panthéon celte.
Brigid et Dana: deux noms pour une même déesse
Selon les légendes, Brigid est fille de Dagda, le dieu celte le plus important. Elle aurait engendré la triade divine: Brian, Iucharba et Ruadan. Ce dernier est d’ailleurs mort prématurément. Les larmes versées par Brigid seraient les toutes premières d’Irlande…
Mais le plus intéressant, c’est que ces trois enfants sont également ceux attribués à Dana, la grande déesse, mère des fameux Thuatha Dé Dannan, peuple mythique d’Irlande parmi lesquels figurent la plupart des grands dieux celtes.
Rien que ça.
Brigit et Dana sont en fait une seule et même divinité, dispensatrice de fécondité et de fertilité.
C’est notamment pour cela qu’on la retrouve sous tant de noms et dans de nombreuses divinités locales des îles britanniques et d’Europe continentale.
Brigid est bien plus qu’une déesse, elle est un principe sacré.
Imbolc, qui n’est donc qu’une fête de moindre importance, serait sous la tutelle de cette immense divinité…
Brigid et Imbolc
Qui de mieux que Brigid pour présider aux cérémonies de cette fête vouée à la purification et à la fertilité?
Sa qualité de protectrice des médecins lui confère un lien avec l’eau, l’eau qui guérit et purifie le corps. Pas la peine de s’étaler sur le lien entre l’eau et sa qualité d’accoucheuse, elle coule de source, si vous me permettez ce petit jeu de mots.
Et que dire de son lien avec le feu? Déesse-forgeronne, elle contrôle le feu, autre élément purificateur mais aussi et surtout symbole de la transformation et du changement. Le feu de la forge, en effet, n’est pas que purificateur: il permet de transformer le métal et de créer.
Et c’est bien ce que représente le printemps: le moment où la terre est purgée et peut de nouveau devenir fertile et féconde.
Ce n’est pas pour rien qu’Imbolc se passe au moment de la lactation des brebis: au moment où la nature, dont les animaux, donne naissance et recommence le cycle sacré de la vie.
Mais la surpuissante Brigid cache bien son jeu, car elle est probablement bien plus ancienne que les Celtes-même, et Imbolc est peut-être bien plus qu’une simple fête celtique du printemps.
Imbolc, une fête préceltique?
Une théorie fort intéressante veut que les quatre grandes fêtes celtes soient en réalité bien plus anciennes et proviennent de temps préhistoriques, une théorie séduisante à laquelle Imbolc ne déroge pas.
La croix de sainte Brigid: un symbole millénaire
On l’a dit, après la période celte, Imbolc est devenu la fête dédiée à sainte Brigid, une pieuse femme qui a repris un certain nombre (pour ne pas dire toutes) les caractéristiques de la déesse celte dont on reparlera dans l’article suivant. Lors des célébrations faites en son honneur, l’une des traditions les plus ancrées est de confectionner une croix (que l’on faisait parfois aussi à Halloween), qui peut prendre diverses formes. Les Celtes eux-mêmes utilisaient peut-être cette croix, tant elle est, dans sa forme, un symbole ancien.
D’ailleurs, on appelle cette croix un « charme ». Le fait que le christianisme n’aie pas réussi à l’effacer en est peut-être la cause.
Cette croix prend souvent une forme de svastika, un motif extrêmement ancien utilisé par un très grand nombre de grandes civilisations dans le monde entier (Amérique précolombienne, Asie, etc.), avant d’être malheureusement définitivement salie par les Nazis. La svastika originelle au bras coudés, comme la croix de sainte Brigid, est un symbole lunaire, aquatique et peut aussi représenter les points cardinaux.
La croix peut également prendre une forme de triskèle, avec trois branches. C’est alors un symbole solaire.
D’autres variantes de la svastika existent, comme un losange simple ou multiple qui devient alors un symbole féminin.
Toutes ces formes renvoient à celle, millénaire, de la roue dans le cercle, qui représentait les quatre éléments avec les quatre qualités qui leur sont rattachées (chaud, sec, humide et froid) et fait sans doute aussi écho à la mythique division de l’Irlande en quatre province.
En bref, on a un symbole luni-solaire et féminin, des qualités qui rappellent les principes des religions préceltiques.
Brigid: la déesse-mère préceltique
La figure de Brigit nous ramène aux même considérations. Cette déesse (et Imbolc !) a un lien très fort avec la lune.
La lune régule les eaux et le pouvoir guérisseur qu’on leur attribue. La lune relie la fécondité des femmes, des animaux, de la végétation.
L’astre lunaire a également un lien avec la mort, c’est même la toute première mort symbolique, du moins c’est ainsi qu’était considéré ses trois jours de disparition à l’occasion de la nouvelle lune. Mais elle renaît toujours, et reprend alors sa place de symbole de fécondité et de fertilité.
La déesse Brigid est souvent accompagnée d’une vache, traditionnellement associée à la lune dans les religions les plus anciennes.
De fait, Brigid est une sorte de divinité luni-solaire, une déesse-mère au sens maternel du terme. Or, ce principe est étranger à la société celtique. Par contre, la figure de la déesse-mère est bien connue des civilisations antérieures, ce qui laisse penser aux chercheurs qu’elle est en fait bien plus ancienne qu’on ne le pense et serait peut-être même une déesse du paléolithique, rien que ça.
Pour vous donner un ordre d’idée, on considère que le début de la culture celte date de 2500 ans avant notre ère, alors que le début du paléolithique date de trois millions d’années.
De quoi donner le tournis, non?
Notre déesse paléolithique aurait évolué et endossé les attributs typiques des peuples indo-européens comme le principe de triplicité et la domination de la fonction artisanale (si vous regardez bien, tous les dieux celtes sont des artisans).
La fête d’Imbolc, qui ouvre le mois de février quand le soleil remonte dans le ciel, est emprunte de toutes ces caractéristiques, ce qui pourrait en partie expliquer le silence des textes à son sujet: les croyances exprimées n’appartenaient peut-être tout simplement pas à la tradition celte originale.
Je ne sais pas vous, mais moi j’aime à penser que des bribes des ces traditions ancestrales ont réussi à nous parvenir, même si elles sont un peu déformées ou réinterprétées.
Et j’avoue avoir un faible pour Brigid, cette déesse hors d’âge, censée justement représenter tous les âges de la vie. Marquée par les deux astres, la lune et le soleil, elle est pour moi une sorte de femme surpuissante, alliant à la fois un versant féminin et un autre masculin, maîtresse de l’eau comme du feu, mère et forgeronne, vierge et femme-médecin.
Une féministe avant l’heure!
Pour en revenir à Imbolc, il est bien dommage que les sources soient si pauvres à son sujet. Comme je le disais en introduction, ce qu’on en sait a surtout été déduit de la façon dont elle a évolué et comment elle est fêtée dans l’Irlande moderne.
Mais tout cela, je vous le raconte dans le prochain article.
En attendant, je vous laisse avec ce dessin inspiré de la fête celte d’Imbolc dont vous trouverez une version marque-page dans la boutique et qui reprend les grands principes de la fête: on y retrouve la lune, le feu purificateur, le seau de lait de brebis, la jatte d’eau, le sang du sacrifice et la gerbe de blé de la sainte Brigid dont on reparlera bientôt!
Hisae
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Sources
- Françoise Le Roux et Christian-J. Guyonvarc’h, Les fêtes celtiques, Yoran, 2017.
- Jean-Paul Persigout, Dictionnaire de la mythologie celtique, Imago, 2009.
- Véronique Guibert de la Vaissière, Les quatre fêtes d’ouverture de l’Irlande ancienne, Editions Armeline, 2013.
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