Beltaine, la fête de l'été celte
Dans le calendrier celte, la nuit du 30 avril au 1er mai est particulièrement importante: elle marque la célébration de Beltaine (Beltene ou Beltane) et le début de la saison claire mettant fin aux six mois de la saison sombre qui avaient débuté en octobre.
Véritable parallèle à la fête de Samhain (l’Halloween celte), Beltaine célèbre le retour des beaux jours mais surtout la fertilité retrouvée des champs et des bêtes, le retour de l’abondance.
Comme pour les autres trois grandes fêtes celtes d’ouverture des saisons, Samhain, Imbolc et Lughnasad, on ne sait finalement que peu de choses sur la façon dont les Celtes célébraient Beltaine. Comme bien souvent, quelques indices nous sont parvenus grâce au maintien des célébrations à caractère païen cachées sous un vernis chrétien dans l’Irlande traditionnelle.
Mais avant de nous pencher sur le May Day irlandais, retournons d’abord dans l’ère préchrétienne pour découvrir cette fête de l’été celte.
Beltaine: une fête administrative, économique, religieuse et mythique
Les origines mythiques irlandaises de Beltaine: Partholon et les Tuata Dé Danann
La principale source d’information à notre disposition pour comprendre les anciennes fêtes celtes, outre l’archéologie, restent les mythes irlandais qui nous sont parvenus grâce à leur transcription – certes approximative – par les moines chrétiens. Les légendes d’Irlande montrent que le 1er mai était une date importante à laquelle des évènements essentiels sont advenus.
Selon le Lebor Gabàla Erenn (le Livre des conquêtes d’Irlande), Partholon, considéré comme le premier habitant d’Irlande, y aurait posé le pied pour la première fois le jour de Beltaine. Après une ère de prospérité, sa descendance et les autres irlandais moururent dans un cataclysme… également le jour de Beltaine.
Toujours selon la même source, l’arrivée en Irlande du peuple mythique des Tuatha Dé Dánann en provenance d’Écosse se serait également déroulée un 1er mai. Après avoir brûlé leur navire dans un feu de joie, ils auraient camouflé leur présence dans un nuage druidique. Étrange, me direz-vous, de faire un grand feu de joie quand on veut rester cachés. Mais les Tuatha Dé Dánann ne voulaient pas être tentés de repartir. Ils ont donc pris la décision radicale de brûler leurs bateaux.
Enfin, les mythes racontent que, lors de Beltaine, Midhe alluma à Uisnech un feu qui devait durer six ans pour les enfants de Nemed, habitants suivants de l’Irlande. Il en a d’ailleurs profité pour couper la langue des druides qui ne voyaient pas la fumée d’un très bon œil.
Toutes ces histoires disparates pointent, nous les verront plus loin, vers les éléments-clés de la célébration de Beltaine et démontrent, s’il en était besoin, l’importance de cette célébration.
Beltaine, une fête mythique sous l'égide d'un dieu qui n'existe pas
D’un point de vue linguistique, Belteine signifie « Le feu de Bel » et semble, de manière évidente dédié au dieu Bel assimilé au dieu Gaulois Belenus ou Belenos (les lecteur.ices d’Astérix doivent connaître ce dernier!), lui-même considéré comme une sorte d’Apollon celtique par les Romains.
Le problème… c’est que ce dieu Bel n’existe pas vraiment. Aucun dieu n’est connu sous ce nom en Irlande si ce n’est par une seule mention dans un mythe, La Courtise d’Emer (Tochmarc Emire). Et c’est tout. Pour un dieu censé être au centre des célébrations de l’une des plus grandes fêtes de l’année, il faut reconnaître que c’est un peu léger.
De plus, l’assimilation que les Romains ont fait du dieu gaulois Belenos à leur Apollon, a amené à penser que Beltaine était une fête solaire (rappelons qu’Apollon est, entre autres, le dieu du soleil), tout cela allant fort bien – quelle aubaine! – avec le concept de retour de la lumière de l’été, la fertilité et tout le reste. Quand à Belisama, déesse gauloise, elle est simplement considérée comme le pendant féminin de Bélénos. Emballé, c’est pesé.
Autant vous dire que les Romains sont allés bien vite en besogne. Tout comme la déesse Brigid (dont on a parlé longuement à Imbolc), n’a rien du caractère guerrier de la Minerve romaine à qui elle est assimilée, il y a fort à parier que notre Bel/Belenos n’ait pas tant de ressemblance avec l’Apollon romain que ça. En effet, on sait que les Celtes ne pratiquaient que peu le culte solaire – on n’a d’ailleurs aucune preuve de rites solaires à Beltaine – mais étaient plutôt tournés vers les célébrations en lien avec la lune. Leur calendrier en est d’ailleurs un très bon exemple.
De plus, on sait qu’en Gaule, toutes les sources d’eau, réputées curatives, étaient sous la protection de ce fameux Belenus. Or, l’eau est liée à la lune et non pas au soleil.
Enfin, si vous avez lu l’article consacré à Imbolc, vous vous souvenez sans doute de l’importance de la déesse Brigid, assimilée à l’autre grande déesse celte Dana, dont les chercheur.euses pensent qu’elles sont le reflet d’une même Grande Déesse plus ancienne encore.
La théorie concernant le lien entre Bel/Belenos/Belisama et Beltaine est donc que, dans la culture celte, Belenos a pris une partie des fonctions de l’ancienne grande déesse qu’ils ont appelée Belisama, ainsi que des attributs divins propres aux Celtes (une sorte de réappropriation culturelle si vous voulez). Les Romains, quant à eux, ont donné beaucoup plus de place à Belenos au détriment de Belisama (ah, patriarcat, quand tu nous tiens!) en l’assimilant à Apollon qui, outre son lien avec le soleil, est aussi dieu de la jeunesse, un concept que les Celtes assimilaient à la santé… donc aux soins donnés par l’eau des sources protégées par Belenos.
Et voilà comment la (fausse) boucle est bouclée. D’ailleurs, Beltaine ne signifie pas seulement « feu de Bel » mais aussi « feu brillant ». Quand on sait que Belisama est « la très brillante »….
Enfin, s’il manquait encore une preuve, il suffit de revenir au calendrier des fêtes celtes. Sans doute avez-vous remarqué qu’aucune ne suit le soleil (pas de lien avec les solstices ou les équinoxes). Et c’est normal puisque, nous l’avons dit, le calendrier celte était surtout lunaire.
Apollon peut donc remballer ses petites affaires.
La célébration de Beltaine par les Celtes
L'assemblée de Uisneach
Selon les légendes, trois grandes assemblées se tenaient en Irlande à l’occasion des fêtes païennes. Les festivités de Beltaine ponctuaient l’une d’entre elles : l’assemblée de Uisneach, dans la province de Connaught, considérée comme le centre de l’Irlande. Toutefois, les chercheur.euses tendent à penser que la fête était sans doute mobile et à une date différente selon les endroits.
Cette assemblée n’est pas connue pour son fastueux festin, contrairement à celui de Samhain mais était l’occasion d’échanger des biens et des marchandises. C’était aussi l’occasion de payer les impôts au roi. Il est dit que les chefs venus à l’assemblée devaient donner leur cheval et leur équipement en guise de paiement.
Beltaine était aussi et surtout une fête religieuse, sacerdotale, dont les célébrations étaient évidemment dirigées par les druides et centrées sur les éléments, en tout premier lieu le feu.
Les feux de Beltaine
Si, encore aujourd’hui, on parle des « feux de Beltaine », ce n’est pas pour rien!
Rappelons que le feu est un élément druidique par excellence! C’est pour cela que, le jour de Beltaine, les druides étaient les seuls à avoir le droit d’en allumer un, peut-être en souvenir du premier feu allumé par Partholon, ce feu qui a donné naissance au fameux nuage druidique.
Autant vous dire que les druides ne plaisantaient pas avec le feu. Si jamais un autre feu que le leur était allumé à Beltaine, c’était la peine capitale…
L’une des traditions les plus ancrées (et qui a d’ailleurs perduré) nous est contée par la légende de Cúchulainn qui raconte qu’à l’occasion de Beltaine, les druides allumaient un grand feu (ou deux) par incantation et magie, pour ensuite faire passer le troupeaux entre les flammes, geste magique de protection. Le premier né de chaque troupeau était ensuite sacrifié au dieu (ou à la déesse?).
Vous voulez encore du feu? Alors laissez-moi vous parler de cette merveilleuse tradition gauloise de Beltaine en hommage au dieu Belenos. C’est en effet certainement le 1er mai que nos ancêtres brûlaient les criminels et les prisonniers de guerre dans des mannequins d’osier. Le feu était allumé sous l’égide des druides par les malades et les guerriers, c’est-à-dire ceux dont la vie était menacée. Une façon de racheter la vie d’un homme par celle d’un autre aux yeux des dieux…
Les druides et saint Patrick
A ce stade, vous l’avez sans doute compris, les druides avaient un rôle majeur à Beltaine. Et s’il y en a un qui ne s’y est pas trompé, c’est bien le célèbre Patrick! Selon la légende, cet évangélisateur de l’Irlande alluma un feu à la date de Beltaine, non pas en l’honneur des dieux païens bien sûr, mais pour célébrer les Pâques chrétiennes (remplacer les fêtes païennes par une fête chrétienne est un grand classique). Or, pour allumer son feu, il semble bien que notre ami Patrick ait utilisé des techniques druidiques, à base de cercle magique et de nuage de fumée pour se camoufler (tiens, tiens, ça ne vous rappelle rien?). Les druides, pas fous, ne s’y aventurèrent pas et firent en sorte de pouvoir parler à saint Patrick en dehors de cette zone sacrée. S’en suivirent des ordalies dont le saint sortit bien évidemment victorieux.
On parle souvent de la façon dont les croyances païennes ont influencé le christianisme en Irlande. Cette anecdote en est sans doute le plus bel exemple, à tel point que saint Patrick est considéré par certains chercheur.euses comme… un druide!
Et ce n’est pas pour rien que notre pseudo-druide Patrick a choisi Beltaine pour allumer son feu. Même si, comme on l’a vu, elle est l’occasion d’échanges d’ordre politique et économique, cette célébration est avant tout religieuse, réservée aux druides et centrée sur l’exaltation du feu, élément druidique par excellence! Saint Patrick a donc utilisé les armes de ceux qu’il voulait évangéliser, le petit malin!
L'eau, le feu et le vent: le pouvoir des Druides
On a déjà vu précédemment l’importance du feu à Beltaine: c’est le feu primitif de Partholon, celui de Midhe… La fumée, issue du feu et poussée par le vent, a elle aussi son importance. C’est la fumée druidique qui a enveloppé Partholon et ses compagnons mais c’est c’est aussi celle du feu fait par Midhe qui l’a amené à couper la langue des druides car ceux-ci ne le voyait pas d’un très bon œil. Sachant que nous sommes alors à Beltaine, que c’est un feu qui n’a pas été allumé par les druides et que la fumée était un élément dont les druides se servaient, notamment en médecine, on comprend que ça les ait chiffonnés un peu…
Si les eaux sont moins clairement assimilées aux druides pour Beltaine, rappelons que ces dernier avaient le pouvoir de les lier et de les délier, c’est-à-dire de rendre les eaux bénéfiques ou maléfiques. Sans oublier que notre fameux duo Belenos/Belisama qui présidait la célébration de Beltaine, eux qui étaient les protecteur.ices des sources, pourvoyeuses de vertus magiques, ce qui indique que l’eau devait également jouer un rôle important dans les célébrations celtes du 1er mai.
Selon le grec Strabon les druides annonçaient « qu’un jour règneront seuls le feu et l’eau ». Toutefois, à Beltaine, l’utilisation de ces éléments était surtout liée à la santé.
Santé et médecine des druides
Pourquoi la santé serait-elle aussi importante en ce 1er mai? De nouveau les mythes nous éclairent: rappelons que l’épidémie qui décima le peuple de Partholon eut lieu à Beltaine.
De plus, j’avais évoqué dans un précédent article qu’il était fort possible que les fêtes celtes soient plus anciennes encore et aient un lien très fort avec le monde pastoral préceltique. Le 1er mai correspond en effet au moment de l’année où les troupeaux repartent dans les pâtures et nécessitent des soins particuliers et surtout une protection accrue contre les maladies , car d’eux dépendent la survie des populations par, notamment, la production de lait et de beurre, eux-même investis de pouvoirs magico-curatifs. Les druides, en tant que médecins, prenaient soins autant des humains que du bétail. La tradition qui consistait à faire passer le bétail entre deux feux pour les protéger en est l’un des exemples. La fumée, pour les druides, était comme une respiration: la fumée d’une maison leur permettait de savoir le nombre de personnes malades et les maladies incriminées.
Et rappelez-vous la coutume gauloise de faire immoler des prisonniers par des personnes malades: il s’agit d’actes magiques qui, par le feu, sont censés permettre d’obtenir la guérison. Une vie pour une vie.
Car, comme l’indique l’épidémie mythique qui tua Partholon et les indices qui pointent vers l’eau et le feu comme moyens curatifs, Beltaine est une fête où le pire comme le meilleur peut arriver: la mort comme la guérison.
D’ailleurs, en plus des eaux et du feu, on sait que certaines plantes, des herbes médicinales, étaient ramassées par les druides la veille de Beltaine ou le matin très tôt, selon des rituels complexes (couleur des vêtements, gestes particuliers , offrandes…). Leur pouvoir curatif était décuplé à cette date. Et même s’il n’y a pas de dieu Bel en Irlande, il existe un équivalent, Diancecht, dieu guérisseur et spécialiste des plantes médicinales justement, qui a officié pendant la première bataille mythique de Mag Tured, bataille qui aurait débuté… à Beltaine.
Ensuite, ce n’est pas pour rien si Beltaine est sous l’égide d’un.e dieu/déesse protecteur.ice des eaux et lié.e à la jeunesse. La jeunesse est ici synonyme de santé et le pouvoir curatif des eaux de sources étaient bien connus des Celtes.
Comme souvent , nos connaissances sur les fêtes païennes celtes sont parcellaires et nous viennent des quelques bribes qui ont traversé le temps pour parvenir jusqu’à nous. Le caractère magique, lié au feu et à l’eau dans le but de garantir la santé des personnes mais surtout des bêtes est le point central de cette fête, car elle est ambivalente, pourvoyeuse de mort et de maladie tout comme elle favorise la protection et la guérison.
Ces aspects ont extraordinairement bien survécu et, il n’y a pas encore si longtemps, nombre des coutumes de la Beltaine celte étaient reconnaissables dans la célébration du May Day en Irlande.
Hisae
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Sources
- Françoise Le Roux, Christian-J. Guyonvarc’h, Les fêtes celtiques, Yoran, 2017.
- Véronique Guibert de la Vaissière, Les quatre fêtes d’ouverture de l’Irlande ancienne, Editions Armeline, 2013.
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